Le passage de l'étourneau

J'étais un de ceux qui avaient passé les frontières, un de ceux qui s'étaient montrés plus téméraires que les autres, et qui n'avaient pas eu peur d'affronter les tempêtes et les aléas de la route. Il fallait que ce fût fait, et nous le fîmes. Nous n'avions guère le choix, du reste, car ce voyage est inscrit dans nos gènes de migrateurs.

Aux autres, les sédentaires, nous laissons les frimas, l'âpreté, la grêle et le grésil. Et nous prenons pour notre part le soleil, le grand appel roux du cagnard.

Chaque automne, à la Saint-Martin, tout engourdi, je rassemble mon courage et ma détermination, je recompte mes rémiges, et je fixe mon regard vers le sud (Sud). Puis je prends mon essor, avec quelque cent mille (cent-mille) de mes semblables, sur la route que nous ont dictée nos aïeux. Route de cent lieues, de sept cents (sept-cents) lieues, qu'importe, nous n'y songeons point dès lors qu'il faut partir.

Des embûches (embuches) dressées devant nous, Dieu sait si nous en avons rencontré (rencontrées)! Nous puisions dans le tréfonds de nos ressources, comme des effrénés, quelque lourdes que fussent les pluies méditerranéennes. Ah, ces nuages noirs que nous avons vus venir au-devant de nos routes! Nombre d'entre nous taillaient, et tombaient.

Ainsi, hier encore, formions-nous une cohorte sombre, un essaim mouvant, qui intriguait les garde-frontières (les gardes-frontières) éberlués lorsque nous volions ça et là au-dessus de leurs têtes. Le temps qu'avaient duré les intempéries était peu de chose. Nous ne pensions qu'aux termites dodus, qu'aux larves de dytiques et qu'aux marigots libyens, saumâtres et délectables, que nous trouverions pour nous repaître (repaitre) et nous remplumer. La récompense du voyage ne s'est pas fait attendre. Nous nous sommes vus graciés (vu gracier) par la fortune et, sans remords, notre groupe s'est dissous (dissout), chacun s'égaillant de son côté.

Cette année encore, j'y suis arrivé. Non que j'aie quelque motif de fierté: je suis un étourneau de stricte observance, je n'ai rien accompli qui fût en-dehors des prérogatives de ma race. Je me suis accommodé, nous nous sommes tous accommodés, des avatars de notre hérédité. Epreuve exigeante, certes, voire infranchissable pour d'aucuns, le voyage est notre lot, et il en ira de la sorte jusqu'à la consommation des siècles : quelle que soit la route, quels que soient les empêchements qui nous verront trembler, qui verront tomber quelques-uns des nôtres, nous irons et nous passerons au-delà des mers, fidèles aux nécessités de notre espèce.

Xavier DEUTSCH


SENIORS 2009

Emportés par les eaux torrentielles, des couvre-chefs drolatiques, des costumes jaune doré ou feuille-morte, des tentures fripées imitant de vieux brocarts à ramages, une kyrielle d'objets hétéroclites roulaient dans les égouts.

Des frondes aux bazookas, des coups-de-poing aux revolvers (révolvers), des braquemarts aux claymores effilées, des coupe-coupe aux rifles, les assassins se sont toujours donné le choix des armes.

Regardez dans les eaux ligériennes, l'alose nacrée, l'ablette ou le barbeau, les hideuses lamproies et les sandres filer vers les gammares séchés et autres appâts lancés par les pêcheurs assis sur des perrés.